CLUB des UTILISATEURS du JAO SYSTEME

PONT MARCADET HISTOIRE D’UN REVE D’ENFANT

Le pont Marcadet est le quatrième pont que l’on rencontre après Paris-Nord. Il se situe juste après le Pont Doudeauville qui est un point de transition de vitesse limite. A cet endroit, se trouvait une petite halte desservie par les lignes d’Ermont via Gennevilliers et Aulnay. Cette halte a disparu lors de la construction de la gare souterraine de Paris Nord.

Il y a quelques semaines, j’ai fêté mon demi-siècle d’existence. Cette décennie qui commence sera hélas la dernière passée dans le monde ferroviaire actif. Tournons donc le dos à ces perpectives peu réjouissantes pour un passionné afin de revenir à l’origine de cet engouement pour le rail.

Il y a 45 ans, mon père et mon oncle tenaient ensemble un petit commerce d’articles de ménage et de quincaillerie dans le 18ème. Le magasin étant fermé le lundi mon père m’emmenait après l’école sur le pont Marcadet sous lequel passaient les convois des Chemins de fer du Nord. A cette heure du début de soirée, le trafic était intense. Sur les banlieues de Creil, Persan-Beaumont des 141TC tiraient ou poussaient de lourdes rames de banlieue Nord de 7 voitures sur Mitry-Claye et Aulnay; des 242 TA remorquaient les mêmes voitures; des voitures Talbot ex-Ouest étaient attelées aux 141TC. Pour les grandes lignes, il y avait plus de variété : 230D sur Beauvais et le Tréport, "Pacific" pour Calais, Lille et Jeumont.
Les plus belles machines étant les 232 S et U carénées avec une grande flèche blanche qui les faisait ressembler à un cygne. Le spectacle était féerique et terrifiant, ces locomotives faisaient un bruit d’enfer, elles crachaient une fumée qui faisait parfois disparaître les deux cotés du pont et la rue Marcadet et il fallait faire très attention ! Si la fumée était blanche, point de danger, seulement une bonne odeur de vapeur. Si elle était noire, il fallait vite fermer les yeux pour ne pas prendre une escarbille dans l’œil qui faisait pleurer pendant des heures ! Pour éviter ce problème nous nous réfugions du côté du triage de La Chapelle (où se trouve aujourd’hui l’entrée de la ligne D) où un 030 DA triait des wagons de marchandises parfois remplacé par un 040 DA (A1A A1A 62000).
Au retour, par la rue des Poissonniers, on pouvait apercevoir par l’entrée du dépôt de Chapelle les grosses locomotives tirées par une toute petite 030TU qui sortait de l’atelier. Le gardien nous autorisait à entrer jusqu’au perron surplombant le grand dépôt, c’est à dire à 2 mètres du portail. Les dépôts SNCF n’étaient pas encore des promenades pour chiens !

Lors de l’été 1956, le pont Marcadet fut fermé à la circulation des automobiles. Il allait prendre entre 1,5 et 2 mètres de hauteur. Un praticable en bois permettait aux piétons et voitures d’enfant de traverser le pont durant ces travaux. A l’automne des grands mats se dressèrent dans la tranchée, l’artère Paris-Lille allait être électrifiée en 25kV ce qui fut chose faite en 1958. Mais un problème de taille m’avait été soumis par mon oncle qui, habitant Pontoise, venait tous les matins par le train au magasin. Les nouvelles BB n’avaient qu’un demi-pantographe. Comment pouvait-elle capter le courant sans que ce demi-panto ne se retourne dans le fil ? Un autre oncle qui travaillait à la SNCF apporta la réponse : le panto AM14 venait d’être créé !
Nous sommes allés admirer ces superbes BB 16000 du haut du pont ainsi que les toutes nouvelles BB 16500 qui, sur la banlieue Creil, avaient remplacé les 141TC.
J’aurai voulu conduire ces BB 16000, elles étaient ce qui se faisait de mieux à l’époque dans le chemin de fer, j’en avais assez d’être petit, j’aurai voulu être grand tout de suite !

L'école devint de plus en plus exigeante et les sorties sur le pont Marcadet se firent de plus en plus rares. Elle fut remplacée par le lycée, mais je n’avais aucun goût pour la littérature et les pièces classiques du répertoire dont il fallait apprendre des pages entières du "Cid" ou de "l’Avare". Cela ne m’intéressait pas du tout, le résultat fut de m’ôter à tout jamais l’idée d’aller au théâtre.
En 1966 on m’orienta vers l’Enseignement Technique, et je retrouvais le Pont Marcadet pour aller au Lycée Technique d’Aubervilliers. Je prenais le matin, à la halte, le train remorqué par une BB 16500 avec des voitures Nord. Le soir, le parcours inverse était effectué par une Z6100. Par rapport à la rame Nord, c’était le grand luxe : éclairage fluorescent, siège compain en skaï contre banquette en bois et éclairage 24 volts. Cela dura un an car ma grand-mère mourut. Le commerce fut fermé et nous allâmes nous installer dans le 8ème et, voulant apprendre le cours d’électricité, je fus inscrit au Lycée Technique de Saint-Denis, celui d’Aubervilliers étant spécialisé dans la mécanique.

Pour aller à Saint-Denis, je prenais le matin un train à vapeur remorqué par une 141TC. Pour le soir, il y avait deux trains possibles : soit un vapeur, soit un électrique avec une RIB62. La différence de confort était la même qu'entre la RIB et la rame Nord : un bon chauffage électrique contre la maigre chaleur de la vapeur qui avait plutôt tendance à s’échapper à l’extérieur. Pendant deux ans, je pris ces trains, ce furent mes meilleures années d’études. L’électricité était une matière intéressante : on arrivait à des résultats concrets et précis.
Ces études me servent encore aujourd’hui pour les formations que je dispense, alors que les aventures de Tartufe ou la date de la bataille de Marignan ne me sont d’aucune utilité !

Un jour de juin 1969, la 141 TC du matin fut remplacée par une 16500. La ligne de Pontoise venait d’être mise sous tension. Je n’ai pas eu le temps de m’y habituer car le 3 juillet de la même année, j’allais au dépôt d’Ivry, pour l’été, faire un stage d’aide-conducteur : le prélude à une longue carrière de cheminot !

Le Pont Marcadet allait tomber définitivement dans l’oubli. Acteur dans le chemin de fer sur les lignes du Sud-Ouest puis du Sud-Est, je n’avais plus aucune raison d’aller traîner sur ce pont pour voir les trains que je côtoyais désormais tous les jours.

En 1992, la SNCF décida d’engager des rames TGV Réseau du Nord pour les pointes de février. L’interconnexion n’étant pas construite, ces rames venaient par la grande ceinture sur Paris-Lyon, le programmeur n’ayant plus de conducteurs, Gérard Grenot me commanda d’aller chercher une UM en gare du Nord. Un jeune élève blond de Bobigny se présenta comme pilote (nous n’avions pas encore la connaissance), il m’expliqua les différentes voies pour aller rebrousser au triage du Bourget. J’écoutais avec attention ces explications sans oser lui avouer qu’à l’époque où il vivait à 70 cm du sol sous forme moléculaire, je prenais le train à cette halte disparue aujourd’hui. Lorsque mon TGV s’engagea sous le pont Marcadet, j’ai repensé à cette journée de 1958.
Trente-quatre ans après, j’étais aux commandes de ce qui se faisait de mieux au Chemin de fer, j’avais réalisé mon rêve d’enfant !

Texte de Jean Pierre CHABERT

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